Mars 1941 : Regagne son domicile parisien.
Au 26 rue Vavin, Paris 6°, un appartement de 450 m² qu’il loue depuis 1933 dans un immeuble original à gradins construit en 1912 par l’architecte Henri Sauvage. Cet appartement, dont certaines pièces occupent deux niveaux, est en lui-même une véritable curiosité.
Travaille dans une société de courtage d’assurance (SGCA) grâce à son ami De Laptow et une société métallurgique (Forges de Strasbourg et leur filiale marocaine Strafor-Maroc) grâce à son ami Fernand Huck-Astier.
1942 : Sous couvert d’activités commerciales, il établit un certain nombre de contacts avec des personnes dont il présume l’esprit résistant. Il crée, par degrés, un embryon d’état-major avec le diplomate Jean Daridan (dit Bachelier) et Bernard Cornut-Gentille qui donnera sa démission de sous-préfet de Reims le 16 mai 1943.
Il prend le pseudonyme de Baudouin ou Beaudouin, et parfois Géronte.
Dès 1942, il se sent surveillé. Dans son appartement, quand son fils aîné Roland, laborantin au Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB), veut lui faire part de son embarras depuis qu’il a appris que l’étude qu’il menait sur l’emploi éventuel du verre dans le béton armé, afin d’économiser l’acier, était une commande des services techniques allemands au CSTB, il l’interrompt dès les premiers mots : « Tais-toi, allons dans le métro ! » Sur le quai de la station Vavin, il poursuit : « Ici, tu peux parler. Le métro est le seul endroit où l’on est sûr de ne pas être écouté. » La conclusion de l’étude ne surprendra personne : Cette technique de construction est inapplicable.
Il effectue quatre voyages à Casablanca et à Alger où il rencontre des membres de la France Libre basés en Angleterre. Son dernier voyage à Alger se termine le 1° novembre 1942, neuf jours avant le débarquement des Alliés. Pendant plusieurs mois de cette année 1942, il échange des messages secrets avec André Philip, Commissaire à l’Intérieur du gouvernement français en exil, pour participer à la rédaction d’une ordonnance réorganisant, à la Libération, l’administration de la Ville de Paris.
Cette ordonnance n°2 relative au régime administratif de la Ville de Paris et de la région parisienne est signée par De Gaulle le 20 janvier 1943. En voici le texte :
Ce même jour 20 janvier 1943, De Gaulle signe un décret nommant Émile Bollaert Préfet de Police.
Fin janvier 1943 :
Il reçoit un mot de Pierre Brossolette, un journaliste devenu l’adjoint du lieutenant-colonel Dewavrin, dit le colonel Passy, dirigeant le BCRA (services secrets de la France Libre) et porte-parole de la France Libre au micro de la BBC, qui désire le voir.
Brossolette lui remet une copie du décret du 20 janvier 1943.
Émile Bollaert rencontre Brossolette à plusieurs reprises ainsi que Jean Moulin (Max puis Rex), Jacques Bingen et Claude Bouchinet-Serreulles venant du BCRA et adjoints de Jean Moulin.
Il demeure à Paris, se déplace souvent en province, mais ne va à Lyon qu’en cas de nécessité absolue, car dans cette ville il est trop connu.
21 juin 1943 : Jean Moulin, ancien préfet d’Eure-et-Loir, délégué général de De Gaulle en France occupée (depuis le 1° janvier 1942) et président-fondateur du Conseil National de la Résistance (depuis le 27 mai 1943) est arrêté par la Gestapo. Il mourra le 8 juillet 1943 des suites de la torture.
Il incombe au général De Gaulle de désigner son nouveau représentant auprès du CNR. Brossolette postule pour ce poste. Sa candidature n’est pas retenue par De Gaulle, car Brossolette ne partageait pas les opinions de Jean Moulin et leurs disputes étaient notoires.
1° septembre 1943 : Les généraux De Gaulle et Giraud signent un décret nommant Émile Bollaert représentant du Comité Français de la Libération Nationale auprès du Conseil National de la Résistance.
Début septembre 1943 : Le CNR doit élire son nouveau président. Émile Bollaert n’est pas candidat, car il estime, comme le comité d’Alger, que le cumul de cette présidence avec la fonction de délégué général présenterait trop d’inconvénients. C’est donc Georges Bidault, du mouvement Combat, qui est élu.
A la mi-septembre 1943 : André Philip lui envoie une copie du décret du 1° septembre 1943, ainsi qu’une lettre précisant qu’il a autorité sur tous les agents civils et militaires des services du Comité de Libération Nationale. Les directives précédemment envoyées à Jean Moulin (Rex) restent intégralement valables. Pierre Brossolette (Pedro) est chargé de faciliter les premiers contacts, puis de se consacrer à sa tâche particulière d’information et de radio.
Quelque temps plus tard, cette lettre est suivie d’une « Directive pour Beaudoin » d’André Philip qui apporte quelques précisions complémentaires : Les directives envoyées à Jean Moulin (Rex) restent intégralement valables. Les fonctions jadis attribuées à Jean Moulin sont réparties entre Émile Bollaert et les représentants des services centraux dans les quatre zones. Mais Émile Bollaert a autorité sur ces représentants dans les quatre zones. Un point est très clair : Émile Bollaert reçoit les fonds et décide de leur répartition.
Courant septembre 1943 : il organise sa petite équipe composée de :
– Pierre Brossolette qui a été parachuté près d’Angoulême le 19 septembre 1943 et lui a apporté une copie du décret du 1° septembre 1943, ainsi que la lettre de transmission d’André Philip,
– Jean Daridan,
– Bernard Cornut-Gentille,
– Claude Bouchinet-Serreulles et Jacques Bingen.
Il prend contact avec les différents mouvements de résistance :
– l’Organisation Civile et Militaire (OCM) dirigé par Maxime Blocq-Mascart,
– le groupe Combat dont un dirigeant est Pierre Dejussieu (Pontcarral), un des fondateurs des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI),
– le Groupe « Ceux de la Résistance » dont le dirigeant pour l’Est de la France est Gilbert Grandval,
– et beaucoup d’autres …
Les différents mouvements de Résistance ne s’entendent pas, et la création du CNR par Jean Moulin fut une véritable prouesse. Les communistes, qui ne sont entrés en Résistance qu’après le 22 juin 1941 (rupture du pacte germano-soviétique du 23 août 1939), ne cachent pas leur intention de prendre le pouvoir après la Libération. Leurs formations militaires, les Francs-Tireurs et Partisans (FTP) ne coopèrent pas avec les autres formations militaires, les Forces Françaises de l’Intérieur (FFI). Les FTP multiplient les attentats contre les soldats et officiers allemands, ce qui entraîne de très graves représailles des forces d’occupation sur la population civile. La France Libre demande aux communistes d’arrêter ces attentats, mais les FTP font la sourde oreille. Au contraire, ils glorifient les auteurs d’attentats en les proclamant héros et martyrs, comme Pierre Georges, dit le colonel Fabien. Parmi les nombreux problèmes rencontrés par les dirigeants de la France Libre, figure donc la question : Faut-il donner des armes aux FTP ?
8 octobre 1943 : Il demande à André Philip des précisions sur l’orientation du Comité de Libération Nationale sur des points précis. Voici le texte de sa note :
Fin octobre 1943 : André Philip répond à Baudoin en lui adressant une note, non signée et non datée, sur la réorganisation de l’administration en Corse.
La libération de la Corse (opération Vésuve) a été organisée par Giraud en accord avec les Américains, à l’insu de De Gaulle.
Ce dernier reprochera plus tard à Giraud de s’être trop appuyé sur les communistes : les maquisards FTP et le parti du Front National de Libération de la Corse dirigé par Arthur Giovoni.
La libération de la Corse a débuté le 8 septembre 1943. De Gaulle a nommé un nouveau préfet Charles Luizet le 14 septembre. Les dernières troupes allemandes repliées à Bastia se sont rendues le 4 octobre. De Gaulle est venu à Ajaccio du 8 au 10 octobre. Rétablir en Corse les institutions républicaines est un exercice périlleux, alors que la population détient 10.000 mitraillettes. Voici le texte de la note d’André Philip :
Début novembre 1943 : Après avoir rencontré la plupart des dirigeants des mouvements de Résistance, il fait le point de la situation dans un rapport qu’il envoie au général De Gaulle et à André Philip.
Courant novembre 1943 :
Constatant que sa correspondance avec De Gaulle suit un cheminement très compliqué, que trop de gens sont au courant de cette correspondance et que certains n’hésitent pas à la modifier (même le BCRA !), il décide d’aller voir De Gaulle pour entendre de vive voix ses instructions pour la Libération, espérée début printemps 1944. Ce voyage est prévu pour la lune de décembre.
Fin décembre 1943 : La Gestapo le recherche et, au milieu d’une nuit de décembre, perquisitionne dans son appartement, sans succès.
Se sachant recherché, il n’habite plus chez lui. Mais il vient, de temps à autre, prendre un repas en famille. Ainsi, quelques heures avant cette perquisition, il était venu dîner, mais sans rester coucher. Après la perquisition, il n’est plus revenu.
Décembre 1943 – janvier 1944 : Tente à deux reprises, avec Brossolette, de gagner l’Angleterre par avion : à Cuiseaux (Saône et Loire) en décembre, puis près d’Azay-le-Rideau en janvier. Les avions espérés ne viennent pas en raison du mauvais temps.
Février 1944 :
Bollaert et Brossolette décident d’aller en Angleterre en utilisant l’organisation mise en place par le lieutenant de vaisseau Yves Le Hénaff et le commandant aviateur Edmond Jouhaud pour le rapatriement des aviateurs anglo-saxons dont l’appareil a été abattu en France.
Leur dernière opération de rapatriement le 22 janvier 1944 à Tréboul s’était parfaitement déroulée. Avec l’aide des lieutenants canadiens André Cann et Robert Vanier (dit Bon-Vent) parachutés à Spézet (Finistère) le 15 juin 1943 pour les seconder, ils préparent l’opération Dahlia prévue pour la soirée du 2 février 1944.
Avec l’aide du négociant Raphaël Kerisit, Yves Le Hénaff a acheté à un pêcheur de Tréboul, Stanislas Brélivet, une pinasse de 14 m, le Jouet des Flots, immatriculée DZ3007 le 30 mai 1930 à Douarnenez, et a engagé un capitaine, Émile Le Bris.
Il était prévu que le Jouet des Flots ferait, le 2 février, un déplacement autorisé de cabotage à Douarnenez et, à son retour, après une escale à Guilvinec, ne rejoindrait pas Tréboul, mais irait à l’Ile-Tudy pour prendre les aviateurs. Ensuite la pinasse sortirait de l’anse de Bénodet, doublerait la pointe de Penmarc’h, se glisserait dans le raz de Sein et retrouverait, au large d’0uessant, une vedette rapide (Motor Gun Board) de la Royal Navy, venant probablement de Dartmouth, comté du Devon.
Le mercredi 1° février, Bollaert et Brossolette prennent le train de nuit pour Quimper. Dans ce train, se trouvent également le lieutenant de vaisseau Jean-Robert Appel et une demi-douzaine de grands gaillards qui présentent au contrôleur de la SNCF une carte d’identité de sourd-muet, car les aviateurs anglo-saxons ne parlent pas un mot de français. Dans ce train, il y a également le capitaine Pierre-Marie Georges de Tudert et le commandant Thomas.
Bollaert et Brossolette sont accueillis par Yves Le Hénaff qui les conduit dans la villa de ses parents à l’Ile-Tudy. Louis Laudren, chauffeur du camion de l’entreprise Le Hénaff, conduit, depuis l’usine du Paludec sur la route de Pont-L’Abbé une vingtaine de passagers camouflés sous une bâche. La pinasse arrive à l’Ile-Tudy vers 20h00.
Dans la soirée, ils descendent sur la plage de l’Ile-Tudy où trois canots transportent les passagers sur la pinasse. Tous les passagers sont trempés. Quatre marins ont préalablement embarqué 8 fûts de 50 litres d’essence.
Le Jouet des Flots appareille à 22h00 avec 32 personnes :
– le capitaine Émile Le Bris et 9 matelots,
– 9 aviateurs : 5 américains, 1 britannique, 1 belge, 2 indiens
– 13 résistants : Yves Le Hénaff, Edmond Jouhaud, André Cann, Robert Vanier, Émile Bollaert, Piere Brossolette, Jean-Robert Appel, Joseph Challan-Belval, Émile Laffon, Joseph Le Vagueres, Jacques Maillet, le commandant Thomas et le capitaine Georges de Tudert.
En baie de Loctudy, vers minuit, la proue rencontre une roche provoquant une voie d’eau. Deux aviateurs anglo-saxons écopent dans le compartiment du moteur en utilisant un bidon de dix litres. Au nord de l’île de Sein, le moteur est noyé et la grand-voile est emportée.par le vent. Le Hénaff fait fixer le foc, ce qui permet de gouverner. Le Bris met le cap au sud et décide d’échouer dans la crique rocheuse de Feunteun-Aod.
Là, à 8h00, le Jouet des Flots talonne à une centaine de mètres du rivage. Des pêcheurs sur le rivage voient le bateau et agitent les bras, mais ils n’ont aucun moyen pour leur venir en aide. Le Hénaff et Le Bris font jeter l’ancre en avant de la proue et, en tirant sur l’orin, les matelots font avancer la pinasse de quelques mètres… Cette opération est répétée plusieurs fois, jusqu’à arriver à trois mètres du rivage. On sectionne le mât à la hache et on le couche vers le rivage. Passagers et marins regagnent le rivage à califourchon sur le mât.
Aussitôt, une rumeur se répand dans le village : Les troupes alliées débarquent !
De Plogoff, à 8 heures du matin, Yves Le Hénaff téléphone à son frère Roger à Brest pour que ce dernier vienne le chercher, lui, ainsi que Bollaert, Brossolette et Appel.
En attendant son arrivée, les quatre naufragés vont à l’auberge de M. Guillaume Le Brun à Plogoff pour se sécher, se nourrir et se reposer. Une patrouille allemande frappe à la porte de l’auberge, mais M. Le Brun réussit à donner le change, en répondant sur le seuil d’un air niais, et aucun Allemand n’est entré dans l’auberge.
Yves Le Hénaff prend le vélo de M. Le Brun pour aller en éclaireur à Audierne.
Bollaert, Brossolette et Appel montent dans la voiture (une Simca rouge) de M. Jean Bernard, résistant du réseau du colonel Rémy et ami de la famille Le Hénaff, qui avait proposé son aide: Jean Bernard arrive sans difficulté à Audierne vers 13h30, mais pour une raison inconnue il éprouve le besoin d’aller à la maison des Kerisit. Or, entre-temps, Kerisit a été arrêté sur la dénonciation de « la Margot« , une jeune fille du Cap Sizun, maîtresse d’un sous-officier de la Kommandantur et en relation constante avec la Gestapo. Bernard entre donc dans une souricière et les Feldgendarmen entourent aussitôt sa voiture.
3 février 1944 : Émile Bollaert et Brossolette sont arrêtés à Audierne, et incarcérés à Quimper, puis à Rennes.
Brossolette prétend alors s’appeler Boudet-Bernier tandis que Bollaert déclare sa véritable identité et son activité d’agent d’assurance.
Claude Bouchinet-Serreulles et Jacques Bingen assurent l’intérim d’Émile Bollaert jusqu’à ce que, fin mars 1944, De Gaulle nomme Alexandre Parodi délégué général du Comité Français de la Libération Nationale auprès du Conseil National de la Résistance.
16 mars 1944 : Brossolette est identifié par la Gestapo de Rennes.
Le 15 mars, la Gestapo avait intercepté, sur la frontière espagnole, un message (non codé !) de la Résistance racontant le naufrage du Jouet des Flots, indiquant le vrai nom des passagers et leur lieu de détention.
19 mars 1944 : Alerté, un haut responsable de la Gestapo, Ernst Misselwitz, vient spécialement de Paris et procède personnellement à leur transfert en voiture à la prison de Fresnes (Val de Marne).
Avant-guerre, il travaillait au consulat d’Allemagne à Lyon. Cette ville était d’ailleurs de 1934 à 1940 un centre d’espionnage allemand. Autour du consul gravitait un essaim de membres de la Gestapo, plus ou moins camouflés, établissant des contacts avec un certain nombre de français et établissant un plan d’invasion. Misselwitz sera arrêté en octobre 1945, au nord-ouest de Berlin, par les services secrets français qui l’utiliseront comme indicateur, du début 1946 jusqu’en 1949, ce qui soulèvera l’indignation de Serge et Beate Klarsfeld dans un article du journal Le Monde du 25 août 1983. La dernière partie de sa vie restera inconnue.
L’activité de Brossolette est bien connue de la Gestapo, mais celle-ci soupçonne seulement Bollaert d’une activité de résistant, sans savoir laquelle. C’est ainsi qu’ils demandent à Bollaert s’il connaît Bidault ou Baudouin !
22 mars 1944 : Bollaert et Brossolette sont conduits à Paris, 84 avenue Foch, pour un interrogatoire sous la torture. Brossolette se suicide en se jetant par la fenêtre du 5° étage pendant la pause-déjeuner des Allemands.
mars-août 1944 : Misselwitz convoque à plusieurs reprises madame Bollaert, mais elle ne peut lui répondre, car elle ne connaît aucun détail des activités de son mari. Il lui refuse de voir son mari à Fresnes, mais l’autorise à lui envoyer de la nourriture à condition que celle-ci soit contenue dans des emballages transparents. A l’époque, il est bien difficile de trouver des boîtes en celluloïd. Quand elle s’inquiète des conditions de détention de son mari, il lui répond : « Il est bien mieux ici qu’en Allemagne ».
15 août 1944 : déporté en Allemagne par l’avant-dernier convoi parti de France.
(mis à jour en mai 2024)
-> Chapitre 6 : La déportation