Chapitre 9 : Tentatives de paix en Indochine

5 mars 1947 – 20 octobre 1948 :
Haut-Commissaire de France en Indochine.
Nommé par le gouvernement tripartite (PC-SFIO-MRP) de Paul Ramadier (premier gouvernement de la 4° République, en place depuis le 23 janvier 1947) pour une mission de six mois. Cette mission sera reconduite deux fois.
Le président du conseil Paul Ramadier est socialiste ; le vice-président Pierre-Henri Teitgen est MRP ; le ministre de la Guerre Paul Coste-Floret est MRP ; le ministre de la France d’Outre-Mer Marius Moutet est socialiste ; le ministre des Affaires Étrangères Georges Bidault est MRP.
L’amiral Thierry d’Argenlieu est nommé Inspecteur général des forces maritimes, puis il se retire au couvent des Carmes de Brest. Il sera Chancelier de l’Ordre de la Libération de 1947 à 1958.

Mars 1947, Émile Bollaert constitue son cabinet : Directeur de cabinet Pierre Messmer, chef de cabinet le sous-préfet Jacques Gandouin, chef d’état-major particulier le colonel Louis Le Puloch, conseillers Paul Mus (directeur de l’École Nationale de la France d’Outre-Mer), Lucien Vochel, Xavier de Christen, Didier Michel.
Il demande à l’ambassadeur Jean Daridan de se joindre à lui, mais Daridan décline, car il se serait trouvé en porte-à-faux envers son patron Georges Bidault.

Monsieur et Madame Bollaert avec Jacques Gandouin, chef de cabinet
Monsieur et Madame Bollaert avec Jacques Gandouin

Désirant asseoir son action sur de bases solides, Émile Bollaert ne veut pas rejoindre son poste avant :
– d’assister au débat parlementaire des 11, 14, 18 et 20 mars 1947 consacré à la situation en Indochine,
– d’avoir reçu des instructions claires du gouvernement.

Le 24 mars 1947, Paul Ramadier, ayant reçu de l’Assemblée un vote favorable à la question de confiance sur sa politique indochinoise, lui précise qu’il doit rechercher une solution politique du conflit vietnamien, négociée avec toutes les tendances vietnamiennes dans le cadre de l’Union Française.
Courant mars, le général Leclerc adresse une lettre ouverte à Émile Bollaert : « Traitez, traitez à tout prix ! ».

Le général Leclerc trouve la mort le 28 novembre 1947 dans un accident d’avion en Algérie. Répondant aux condoléances que lui a adressées Émile Bollaert, madame Leclerc lui écrit le 15 décembre 1947 :

« Monsieur le Haut-Commissaire, j'ai été vivement touchée, ainsi que mes enfants, de votre sympathie et veux vous en remercier personnellement. Mon mari m'avait parlé de vous longuement lors de votre départ en Indochine. Il suivait avec intérêt tout ce qui se passait là-bas, pensant sans cesse à tous ceux qui y travaillaient et y mouraient. Après une vie aussi pure, consacrée uniquement aux devoirs de Chrétien et de Français, on ne doit que se réjouir du bonheur qui est le sien, en essayant d'oublier que l'on existe ! Croyez, je vous prie, Monsieur le Haut-Commissaire, à mes sentiments attristés. »
T. Leclerc de Hauteclocque.


Le 28 mars 1947, Émile Bollaert et Pierre Messmer prennent l’avion pour Saïgon où ils arrivent le 1° avril.
Le voyage en DC3 militaire avec un équipage unique a duré 5 jours. A cette époque, la ligne régulière Paris-Saïgon d’Air France, en DC4 avec relais d’équipages, met 3 jours.

Emile Bollaert accueilli le 1 avril 1947 par le general Valluy
Émile Bollaert accueilli le 1° avril 1947 par le général Valluy

Si on veut résumer en quelques lignes le but poursuivi par Émile Bollaert et les actions qu’il a menées :
1) Il était persuadé que la paix ne pouvait être rétablie qu’en accordant l’indépendance au Vietnam, avec le plein accord du Vietminh.
2) Il a proposé au Vietminh le 12 mai 1947 une négociation en vue d’un cessez-le-feu, puis dans le discours qu’il projetait de prononcer le 15 août 1947, il voulait ordonner un cesser-le-feu immédiat devant être suivi d’une négociation. Enfin, il a proposé à Bao Daï, les 6 décembre 1947 et 5 juin 1948, de devenir le chef d’état du Vietnam, dans des conditions propices au ralliement du Vietminh.
3) Il s’est heurté à l’obstruction obstinée du général Valluy soutenu par le ministre de la Guerre Paul Coste-Floret. Mais il avait le soutien du vice-amiral Robert Battet et du général de brigade Pierre-Louis Bodet.
4) Il s’est heurté également à l’obstruction de l’aile droite du MRP, fortement majoritaire dans ce parti, conduite par Georges Bidault. Toutefois, il faut observer que Robert Schuman, MRP, menait une politique plus libérale.
5) Malgré la bonne volonté évidente des Présidents du Conseil Paul Ramadier, Robert Schuman, André Marie et Henri Queuille, leurs gouvernements respectifs n’ont soutenu que très mollement Émile Bollaert, car la participation du parti MRP était indispensable à l’existence de ces gouvernements.
6) Bao Daï a multiplié les atermoiements et les surenchères, car il redoutait les réticences, pour ne pas dire plus, du Vietminh.

A Saïgon, le palais du gouverneur, démoli en 1962 par Ngo Dinh Diem

Voici, plus en détail, le déroulement des évènements :

Avril 1947 :
Dès leur arrivée, le colonel Louis Le Puloch, chef d’état-major particulier, et Pierre Messmer, directeur de cabinet, sont indignés par les rapports qu’ils reçoivent sur la tenue de l’armée et proposent à Émile Bollaert, qui la signe, une instruction secrète n° 518/EMP du 17 avril 1947 adressée à tous les officiers supérieurs et généraux du corps expéditionnaire.
Cette instruction est d’une rare sévérité :

« J'attire votre attention sur les exactions de tous ordres : pillages, représailles aveugles, bombardements ou mitraillages par des bâtiments de guerre ou d'avions d'objectifs non militaires... je suis sûr que dans presque tous les cas la responsabilité des officiers est engagée. Officiers trop veules pour réagir brutalement devant le crime ; officiers compromis eux-même dans le crime ; officiers qui feignent de croire que l'honneur du soldat s'accommode des règles du « gang » ; officiers incapables qui subissent leur troupe plutôt qu'ils ne la commandent ; ce sont des officiers qu'il faut frapper, et exclure d'Indochine où ils salissent notre renom... J'entends que ces sanctions frappent haut, qu'elles ne soient pas discrètes, pudiques, qu'elles ne confèrent pas à leur victime l'auréole de je ne sais quel sacrifice à l'opinion publique. C'est ainsi que s'élimineront une poignée de reîtres qui déshonorent l'uniforme français et un certain nombre d'incapables pour qui la seule présence en Indochine constitue une garantie contre un dégagement justifié des cadres... »

A la lecture de ce texte, le général Valluy se précipite chez le haut-commissaire et obtient que lui soit substitué un texte plus édulcoré où subsistent néanmoins de fortes phrases :

« J'exige qu'à tous les échelons le nécessaire soit fait pour que de telles erreurs, qui ont été parfois de véritables crimes, ne se reproduisent plus... Je n'admets pas qu'aveuglés par un esprit de corps mal placé, certains colonels couvrent leurs subordonnés fautifs... A vos chefs, je demande de frapper fort et haut. »

Le 19 avril 1947, en réponse à l’inflexion de la politique gouvernementale indiquée par Paul Ramadier lors du débat parlementaire de mars 1947, Hoang Minh Giam, ministre des Affaires Étrangères de la RDVN, propose à Émile Bollaert la cessation immédiate des hostilités et l’ouverture de négociations de paix.
Émile Bollaert transmet cette proposition à Paul Ramadier qui répond le 29 avril en imposant des conditions qui seront considérablement renforcées par le général Valluy sur les conseils de Paul Coste-Floret, MRP, ministre de la Guerre.

A noter que les commandements de l’Armée de Terre, de la Marine et de l’Armée de l’Air ont des opinions opposées : Tandis que le général Valluy (Commandant en Chef) s’évertue à lui mettre des bâtons dans les roues, Émile Bollaert a le soutien total de l’amiral Robert Battet (Chef des Forces Navales en Extrême-Orient) et du général Bodet (commandant les forces aériennes). Le chef de cabinet de l’amiral Battet, le commissaire de la marine Jacques Raphaël-Leygues, est en contact permanent avec le cabinet du haut-commissaire.

Le 5 mai 1947, l’entente tripartite PC-SFIO-MRP est rompue et les ministres communistes quittent le gouvernement. Ce qui donne plus d’influence aux ministres MRP.

Le 12 mai 1947, Émile Bollaert envoie son conseiller Paul Mus à Thai Nguyen, à 130 km au nord d’Hanoï, pour rencontrer Ho Chi Minh et entamer une négociation, avec les conditions imposées par le général Valluy, à savoir :

Le Vietnam doit :
- rendre toutes ses armes,
- accepter la libre circulation des troupes françaises dans tout le territoire vietnamien,
- concentrer ses forces désarmées dans des périmètres déterminés,
- livrer entre nos mains les non-Vietnamiens qui se trouvent avec lui.

Ho Chi Minh lui répond :

Dans l'Union française, il n'y a pas de place pour les lâches. Si j'acceptais ces conditions, j'en serais un.

Paul Mus ne prend pas sur lui de rapporter des contre-propositions qui auraient pu ouvrir la voie à une négociation. Émile Bollaert le regrette, mais il est trop tard. Il lui faut rechercher la paix par d’autres moyens.

Le 15 mai 1947, à Hanoï, Émile Bollaert déclare que la France accueillera les propositions de tous les partis : « elle ne reconnaît à aucun groupe le monopole de la représentation du peuple vietnamien ».
D’autre part, Paul Ramadier trouve excessives les conditions posées par le général Valluy à un cesser-le-feu. Il demande à Émile Bollaert de lui soumettre un texte moins sévère.

Le 24 mai 1947, Émile Bollaert lui adresse un projet que Paul Ramadier approuve le 6 juin.

Le 14 juin 1947, Émile Bollaert accourt à Paris. car le conseil des ministres souhaite débattre de ce texte. Malgré les réticences de plusieurs ministres MRP, le conseil de ministres donne finalement son aval.
De retour à Saïgon le 22 juillet, Émile Bollaert se prépare à prononcer un discours le 15 août et à donner simultanément aux troupes françaises l’ordre de cesser le feu.
Cette date a été choisie pour coïncider avec le jour de l’indépendance de l’Inde et du Pakistan.
Le général Valluy fait connaître à Émile Bollaert son total désaccord et part à Paris le 25 juillet sous un prétexte médical, mais en fait pour demander aux ministres MRP (dont Georges Bidault, Pierre-Henri Teitgen et Paul Coste-Floret) d’arrêter ce projet de cesser-le-feu.
Par ailleurs, Léon Blum propose dans le journal Le Populaire du 6 août la reprise des négociations avec Ho Chi Minh.

Début août 1947, Émile Bollaert télégraphie à Paris le texte du discours qu’il compte prononcer le 15 août à Hadong, petite ville située entre Hanoï et Haïphong. Il est empreint d’un esprit d’ouverture : « La France ne vous demande pas la paix, elle vous l’offre ». En effet, ce discours annonce un cessez-le-feu immédiat, unilatéral et reconductible suivant un plan très étudié qui lie la prolongation de la trêve à l’acceptation par le Vietminh de conditions politiques et militaires suivant un calendrier précis.
Le 12 août, l’amiral Battet (assurant l’intérim du général Valluy) fait distribuer sous enveloppe cachetée à toutes les forces armées d’Indochine l’ordre de cesser le feu ; Ces enveloppes devront être ouvertes le 15 août à midi.
Pendant ce temps, les trois ministres MRP cités ci-dessus, convaincus par le général Valluy, obtiennent de Paul Ramadier qu’Émile Bollaert ajourne son discours et soit convoqué d’urgence à Paris. A cet effet, Georges Bidault brandit à plusieurs reprises la menace de sa démission. L’amiral Battet donne donc l’ordre à tous les chefs de corps de lui renvoyer ces enveloppes sans les avoir ouvertes.
Le 16 août 1947, un conseil interministériel se réunit à l’Hôtel Matignon, où Émile Bollaert et le général Valluy sont entendus. Le projet de discours est édulcoré : il n’est plus question de cesser-le-feu ni d’indépendance. Il sera proposé une autonomie, mais seulement en vietnamien, pour que les peuples des autres colonies françaises ne comprennent pas l’ampleur de la proposition faite aux Vietnamiens.
Personne ne prête attention au fait que les mots français indépendance et autonomie se traduisent par le même mot vietnamien !
Le même jour, Paul Ramadier, Marius Moutet et Émile Bollaert donnent une conférence de presse à l’Hôtel Matignon.

Marius Moutet, Paul Ramadier, et Émile Bollaert, le 16 août 1947

Le 10 septembre 1947, Émile Bollaert, respectant les instructions du gouvernement contraires à son projet initial, prononce à Hadong un discours, centré sur le mot vietnamien indépendance-autonomie. C’est un appel à « toutes les familles spirituelles et sociales » du Vietnam qui pourrait se gouverner lui-même et réaliser son unité, si les Cochinchinois y consentent. C’est l’abandon implicite de la « Fédération Indochinoise » dont Thierry d’Argenlieu avait fait le pivot de sa politique. Comme il ne propose pas franchement l’indépendance, ce discours n’a aucune chance de convaincre Ho Chi Minh. Mais il oriente la politique française vers la restauration de l’empereur Bao Daï.
Bien qu’édulcoré, ce discours rend furieux les conservateurs français : le ministre Georges Bidault, le général Valluy et le général Salan (commandant les Troupes d’Indochine du Nord depuis le 29 octobre 1945) expriment publiquement leur désaccord.
Mais ce discours provoque la réaction positive espérée : L’ex-empereur d’Annam Bao Daï, résidant à Hong-Kong, sort de sa réserve le 18 septembre et invite « les nationalistes authentiques » à se rassembler autour de lui pour l’aider à obtenir la paix.

Bao Daï avait été contraint d’abdiquer le 25 août 1945 en faveur du Vietminh. La RDVN l’avait nommé « conseiller suprême » du gouvernement vietminh. Il était parti en Chine en mars 1946, puis à Hong-Kong en avril 1946.

Le 1° octobre 1947, le général Nguyen Van Xuân est nommé chef du gouvernement de la République Autonome de Cochinchine. La France ne pouvant désormais soutenir un séparatisme cochinchinois, il intitule cet état « République du Sud-Vietnam ».
Dans les premiers jours d’octobre, le gouvernement Ramadier lâche la bride au général Valluy et approuve le déclenchement de l’offensive « Léa », au nord de Hanoï. Cette offensive, menée par le général Salan, donnera des résultats militaires mitigés.
Comme opération de propagande, elle a été marquée par un fiasco stupéfiant : Le 7 octobre, le général Salan, à bord d’un avion amphibie Catalina de l’Aéronavale, reçoit des messages radio l’informant que l’opération qu’il a lancée pour capturer Ho Chi Minh à Bac Kan a réussi ce même jour à 11h10. Sans chercher à vérifier cette information conformément à la procédure réglementaire, il la transmet à Émile Bollaert qui, sceptique, lui ordonne de garder cette information secrète. L’amiral Battet, envoyé d’urgence à Hanoï pour prendre livraison d’Ho Chi Minh, constate le 8 octobre en fin de matinée que le message de Salan était fondé sur des renseignements fantaisistes.
Une longue enquête menée par un lieutenant de vaisseau, officier de sécurité navale, désigné par l’amiral Battet, se heurtera à la mauvaise volonté de l’État-major et ne trouvera pas de conclusion.
L’officier marinier radio du Catalina est d’abord suspecté, mais aucune faute ne peut lui être reprochée. Par contre, un doute subsiste sur l’identité réelle de l’émetteur des messages fantaisistes, situé au sol. L’hypothèse la plus plausible serait une manœuvre d’intoxication menée par le Vietminh et parfaitement réussie !

Le 24 novembre 1947, Robert Schuman est nommé Président du Conseil. Paul Coste-Floret, très hostile à Ho Chi Minh, remplace Marius Moutet au ministère de la France d’Outre-Mer. Émile Bollaert songe à présenter sa démission, mais Robert Schuman lui demande de rester et l’assure de son entière confiance.

Emile Bollaert au Tonkin, avec l'amiral Battet
Au Tonkin, avec l’amiral Battet


Les 6 et 7 décembre 1947
, Émile Bollaert rencontre Bao Daï en baie d’Along et signe avec lui un accord fixant les grandes lignes d’un traité franco-vietnamien. Bao Daï manifeste sa première réticence en ne signant pas de son nom d’empereur, mais de son nom de simple citoyen Vinh Tuy.
Cet accord comprend deux documents : une convention qui énonce les principes généraux de l’accord et un protocole qui en précise les modalités d’application. Ce dernier document est par nature restrictif. Dès son retour à Hong-Kong, devant la réprobation de son entourage, Bao Daï regrette d’avoir signé ce protocole.
Le 20 décembre 1947, Émile Bollaert part à Paris.
Le 23 décembre, le gouvernement Schuman donne plein mandat à Émile Bollaert pour poursuivre toutes négociations et actions pour rétablir la paix, en dehors du gouvernement d’Ho Chi Minh.
Après de nombreuses consultations, Bao Daï cherche à faire marche arrière et le 26 décembre, sur l’invitation de Georges Bidault, il quitte Hong-Kong pour Londres et Genève. Au président Schuman, il déclare « être venu à titre personnel pour s’informer de la position du gouvernement français dont il attend de nouvelles propositions »
Le 29 décembre, dans une conférence de presse à Saïgon, le général Nguyen Van Xuân dévoile les intentions de Bao Daï en disant qu’il n’est pas question que Sa Majesté traite avec la France.
Émile Bollaert se rend à Genève où il rencontre cinq fois Bao Daï du 7 au 13 janvier 1948. En voici un extrait sonore issu des archives de l’INA  :

Bao Daï déclare n’être pas lié par le protocole du 7 décembre. Émile Bollaert répond qu’aucun point de ce protocole ne peut être remis en question. Ces entretiens restent donc sans résultat.
Le 10 février 1948, le général Valluy est nommé inspecteur des forces terrestres d’Outre-Mer et rentre aussitôt à Paris. Bien plus tard, le 9 mai 1960, il sera élevé à la dignité de Grand-Croix de la Légion d’Honneur.
Après un intérim de deux mois (février – avril) effectué par le général Salan, le général Roger Blaizot (général de corps d’armée depuis 1943) est nommé Commandant en Chef en avril 1948. Le général Salan n’est pas maintenu à ce poste en raison de sa faible ancienneté : général de division depuis le 1°septembre 1947. Il rentre en métropole le 30 juillet 1948.
Début février, Bao Daï s’installe à Cannes et de temps à autre va à Paris où il rencontre des ministres et d’autres personnalités. Émile Bollaert proteste contre ces intrigues menées dans son dos, et le 21 février, le Conseil des Ministres lui renouvelle sa confiance.
Le 14 mars, Bao Daï regagne Hong-Kong.
En mars, Émile Bollaert est la cible d’une tentative d’attentat à Nha Trang, Annam
Le 26 mars 1948, Bao Daï propose la formation d’un « gouvernement central provisoire » qui assumerait la transition et participerait aux ultimes négociations avant l’indépendance.
Le 3 mai, Émile Bollaert accepte l’idée d’un tel gouvernement provisoire, à condition qu’il soit reconnu par Bao Daï et que la déclaration signée par ce gouvernement soit contresignée par Bao Daï.
Le 20 mai, après discussions avec Bao Daï et les notables cochinchinois, le général Nguyen Van Xuân crée ce gouvernement central provisoire dont la mission est de liquider le séparatisme cochinchinois et d’obtenir le transfert des services (finances, police, justice, etc…) concrétisant l’autonomie du Vietnam.
Tandis qu’à Saïgon, Tran Van Huu succède au général Nguyen Van Xuân comme chef du gouvernement du Sud-Vietnam.
Le 21 mai, Émile Bollaert écrit au préfet Roger Génébrier, qui lui a succédé à la présidence de l’Association du Corps Préfectoral :

« Cette tâche, je m'efforce de la remplir avec persévérance, avec ténacité : Je n'oublie pas qu'en défendant les intérêts de la France, je porte aussi le drapeau de notre Corps. Je veux qu'il en sorte glorieusement. Mais que de difficultés ! Que d'obstacles dont certains hélas me sont dressés par ceux-là mêmes qui devraient le plus chercher à les aplanir. Ah ! Que l'esprit partisan a fait de ravages en France ! Où est le temps où notre vieux parti se sacrifiait à l'intérêt général plutôt que de le trahir. »

Dans cette lettre, il dénonce la trahison d’un parti politique (le MRP), mais il n’a jamais prononcé en public cette accusation, ne voulant pas provoquer une dangereuse polémique.
Le 5 juin 1948, en baie d’Along, le général Nguyen Van Xuân signe avec Émile Bollaert, en présence de Bao Daï qui contresigne, une déclaration par laquelle la France reconnaît l’indépendance du Vietnam, auquel « il appartient de réaliser son unité ». Le Vietnam adhère à l’Union Française, où il est un état associé à la France, cette association étant la seule limite à son indépendance. Cette déclaration est accompagnée d’un protocole ressemblant point par point à celui du 7 décembre 1947.
Le soir même, Bao Daï part pour la France.

Le 5 juin 1948, Dao Baï, Emile Bollaert, Nguyen Van Xuân et Tran Van Huu à bord du Duguay-Trouin
Le 5 juin 1948, Bao Daï, Émile Bollaert, Nguyen Van Xuân et Tran Van Huu à bord du Duguay-Trouin
Le 5 juin 1948, Dao Baï et Emile Bollaert
Le 5 juin 1948, Émile Bollaert et Bao Daï

La situation n’est pas réglée pour autant, car les deux parties cherchent à se rétracter :

– du côté français, le ministre Coste-Floret déclare le 8 juin que les accords signés en baie d’Along n’impliquait pas la reconnaissance par la France de l’union des trois Ky (Tonkin, Annam, Cochinchine).

– du côté vietnamien, Bao Daï adresse le 11 juillet à Émile Bollaert une lettre qu’il confirme lors de deux entretiens, le 25 août à Saint-Germain et le 17 octobre à Paris, précisant qu’il refuse de revenir au Vietnam tant que le régime colonial de la Cochinchine n’est pas supprimé et qu’il n’obtient pas de garanties suffisantes sur l’indépendance du Vietnam.

Le 19 juillet 1948, le gouvernement de Robert Schuman démissionne, suite au vote d’un amendement socialiste restreignant les crédits militaires.
Le gouvernement d’André Marie, mis en place le 25 juillet, fait approuver par l’Assemblée le 19 août 1948 la politique du haut-commissaire par :
– 347 voix pour,
– 183 voix contre (communistes),
– le Parti Républicain de la Liberté s’abstenant.
Ce gouvernement confirme solennellement le même jour son adhésion aux accords de la baie d’Along.
Mais il démissionne le 27 août.
Le 11 septembre 1948, le gouvernement d’Henri Queuille, radical-socialiste, lui succède. Paul Coste-Floret est ministre de la France d’Outre-Mer et Paul Ramadier ministre de la Défense.
Pendant tout ce temps, les transferts de souveraineté attendus par le gouvernement provisoire du général Nguyen Van Xuân ne sont pas effectués. Le Vietminh, prenant acte de cette absence de transferts de souveraineté, dénonce cette « duperie » et intensifie avec succès sa propagande politique.
19 octobre 1948 : Émile Bollaert, constatant que ses propositions de paix ne sont soutenues ni d’un côté ni de l’autre et qu’il se trouve engagé dans une mission impossible, se résout, la mort dans l’âme, à ne pas demander le renouvellement de son mandat. Un collaborateur d’Émile Bollaert écrira plus tard dans ses mémoires qu’Émile Bollaert aurait dû démissionner deux mois plus tôt. En fait, il avait pris fin août la décision de partir en octobre.
Léon Pignon, Commissaire de la République au Cambodge, lui succède le 21 octobre 1948 jusqu’au 17 décembre 1950.
Novembre 1948 : Émile Bollaert est nommé Gouverneur Général honoraire de la France d’Outre-Mer.

Début janvier 1949, Bao Daï engage une nouvelle négociation avec le gouvernement d’Henri Queuille qui accepte cette fois d’importantes concessions.
Tandis que le Parti Communiste, faisant son auto-critique dans une campagne de pétitions et de manifestations, réclame des négociations avec Ho Chi Minh.

Le 8 mars 1949, le Président Vincent Auriol et Bao Daï, chef de l’État du Vietnam, signent à Paris un accord qui se réfère à l’accord du 5 juin 1948.

Le 10 avril 1949, Bao Daï ayant répété qu’il ne rentrerait pas au Vietnam tant que la Cochinchine en serait séparée, la France organise à la hâte un simulacre d’élection d’une Assemblée Territoriale Cochinchinoise qui se déclare favorable à une union avec le Vietnam.

Le 27 avril 1949, Bao Daï s’installe à Dalat et le 1° juillet 1949 constitue solennellement l’État du Vietnam à qui la France transfère le 30 décembre 1949 ses pouvoirs souverains.

Le 19 juillet 1949 : Le royaume du Laos devient un état indépendant dans le cadre de l’Union Française, le roi Sisavang Vong régnera jusqu’en 1959.

Le 26 janvier 1950, l’Assemblée émet un vote favorable (396 voix contre 193) à la ratification des accords du 8 mars 1949. Cependant, le Vietminh ne dépose pas les armes et la guerre continue.

Les 23 et 27 octobre 1953 : Après un débat interminable et tumultueux, l’Assemblée Nationale, sur proposition de M. René Kuehn, député RPF, votée par 315 voix pour et 257 voix contre, invite le Gouvernement de M. Joseph Laniel à définir et à appliquer une politique tendant notamment :
a) A développer les forces armées des Etats associés pour relayer progressivement l’effort militaire français ;
b) A tout mettre en œuvre pour aboutir, par la négociation, à la pacification générale de l’Asie ;
c) A assurer sur le plan international un juste équilibre des efforts et des sacrifices des nations libres sur les différents points du globe où doit s’exercer leur solidarité.
Et insiste auprès du Gouvernement pour que la défense et l’indépendance des Etats associés  se réalisent dans le cadre de l’Union française.

Le 9 novembre 1953, le royaume du Cambodge devient un état indépendant, le roi Norodom Sihanouk sera renversé en 1970 par les Khmers Rouges.

Le 7 mai 1954, L’armée française est battue à Diên Biên Phu, un ancien aérodrome aménagé dans une cuvette par les Japonais lors de leur occupation du Tonkin de 1941 à 1945.

Le 16 juin 1954, pour complaire aux Etats-Unis, Bao Daï nomme premier ministre Ngô Dinh Diem qui fut, en 1933 pendant quatre mois, son ministre de l’Intérieur.

Les 20 et 21 juillet 1954, à Genève, le Président du Conseil Pierre Mendès-France parvient à un accord sur le cessez-le-feu et sur la partition du Vietnam de part et d’autre du 17° parallèle qui passe à 60 kilomètres au nord de Hué, l’ancienne capitale de l’Annam.

Le 23 octobre 1955, après un référendum douteux, Ngô Dinh Diem dépose Bao Daï.

Le 28 avril 1956, les dernières troupes françaises quittent le Vietnam.

Références :
 - le livre « Histoire du Viêt-Nam de 1940 à 1952 » de Philippe Devillers, Éditions du Seuil, 1952
 - le livre " Histoire d'une paix manquée " de Jean Sainteny, ed. Fayard, 1967
 - le livre "Les deux guerres du Vietnam" de Georges Chaffard, La table ronde de combat, 1969
 - l'article « La fausse capture d'Ho Chi Minh » de Georges Chaffard dans Le Nouvel Observateur du 15 septembre 1969
 - le livre « Ponts de lianes » de Jacques Raphaël-Leygues, Hachette, 1976
 - l'article de Pierre Messmer dans le numéro spécial de la revue Administration du Ministère de l'Intérieur de juillet 1980
 - la communication de Jacques Gandouin le 11 février 1991 à l'Académie des Sciences d'Outre-Mer en présence de Pierre Messmer
Affaires dites du Trafic des Piastres :

Depuis le 26 décembre 1945, le gouvernement maintient artificiellement le taux de change de la piastre indochinoise à un niveau élevé, à la satisfaction des militaires et des colons. Ce qui engendre un volume anormal de mouvements de capitaux, un véritable « trafic » : De nombreuses personnes et sociétés, notamment les sociétés d'import-export, achètent à l'étranger des piastres au taux de 10 F et les revendent à la Banque de France au taux officiel de 17 F.
La piastre ne sera dévaluée que le 11 mai 1953.

Indépendamment de ceci, le Vietminh émet sa propre monnaie qui a cours forcé dans les territoires qu'il occupe. La Direction de la Sûreté indochinoise revend discrètement à l'étranger toutes les piastres vietminh saisies par l'armée ou les douanes, afin de déprécier cette monnaie et de diminuer la capacité d'achat du Vietminh.
Le 15 juin 1948, le commissaire de la Sureté attaché au consulat de France à Hong-Kong a pris l'initiative de profiter du passage à Hong-Kong de l'avion du Haut-Commissaire (un jour que le Haut-Commissaire n'a pas besoin de son avion, l'équipage est venu à Hong-Kong chercher des pièces de rechange) pour confier au commandant de bord une valise diplomatique contenant le produit d'une vente de piastres vietminh. Curieusement, les douanes indochinoises sont informées d'un transfert de fonds occulte, dont elles ignorent (ou prétendent ignorer) le motif. Les douanes procèdent à la fouille de l'avion à son arrivée à l'aérodrome de Saïgon et saisissent la valise diplomatique.
Pierre Messmer, aussitôt alerté, convoque les directeurs des Douanes et de la Sûreté pour que l'ouverture de la valise ait lieu en leur présence dans son bureau et que soit dissipé tout malentendu. Il incite ces deux services à mettre en place une meilleure coordination et l'incident est clos. Toutefois, quelques années plus tard, cet incident fut ébruité, vraisemblablement par un fonctionnaire malveillant.
En 1953, le polémiste Jacques Despuech publie un livre où il relate cette affaire en lui donnant une interprétation diffamatoire, accusant Émile Bollaert et sa fille Jacqueline de trafics illicites. Émile Bollaert lui intente un procès en diffamation et gagne (17° Chambre Tribunal Correctionnel de la Seine, 30 novembre 1953, et 11° Chambre Cour d'Appel de Paris, 15 juin 1954).

(mis à jour en avril 2024)
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