Chapitre 6 : La déportation

15 août 1944 : Déporté au camp de concentration de Buchenwald, à 7 km de Weimar en Thuringe, dans l’avant-dernier convoi qui partit de la France vers l’Allemagne avec environ 2200 prisonniers (le dernier convoi partira le 17 août avec 51 prisonniers juifs).
Le trajet en wagons de marchandises (100 hommes par wagon) durera cinq jours sans aucune nourriture.
Les Allemands ont utilisé (et ensuite abandonné) dans toute l’Europe quantité de wagons français de marchandises. Les wagons français sont aisément reconnaissables par l’inscription « Hommes 40 Chevaux en long 8 » imposée par un décret de 1874 prévoyant une éventuelle utilisation de ces wagons pour des transports de troupe.
Peu après l’embarquement en gare de Pantin et avant le départ du train, un membre de la Croix-Rouge distribue quelques brocs d’eau ; A l’arrêt de Chalons-sur- Marne, la Croix-Rouge distribue de l’eau plus généreusement.
Au troisième jour de voyage, le train s’immobilise dans un tunnel pendant plusieurs heures ; La locomotive continuant de cracher des flots de fumée, certains déportés meurent d’asphyxie. Comme la sortie du tunnel est obstruée suite à un bombardement, le train est contraint de faire marche arrière pour revenir à l’air libre. Alors, les feldgendarmes font descendre les déportés et les font contourner à pied le coteau traversé par le tunnel. Au delà de l’extrémité obstruée, un autre train, identique au précédent, les attend.
Le train arrive le 19 août avant minuit en gare de Weimar. Mais il attendra toute la nuit pour faire les sept kilomètres qui séparent la ville du camp de Buchenwald où il arrivera le dimanche 20 août vers 9 heures. En effet, la voie était occupée par un précédent convoi.
Pendant ce long voyage, nombre de déportés succombent.
A l’arrivée au camp, chaque nouvel arrivant est dépouillé de ses vêtements et de son alliance, ce qui est dûment consigné sur une fiche d’inventaire, puis les déportés sont douchés et reçoivent leur uniforme de bagnard. Chacun doit coudre sur sa veste un morceau de tissu où est imprimé son matricule (77127 pour Émile Bollaert), et un triangle rouge (déporté politique) avec la lettre F.
La fiche d’enregistrement d’Émile Bollaert indique comme profession « fonctionnaire, employé de banque », mais ne mentionne pas le mot « préfet ».
Il est curieux de constater qu’Émile Bollaert déclare ici n’avoir que trois enfants, alors qu’il en a quatre. Peut-être voulait-il ainsi cacher que son fils aîné Roland, réfractaire au Service du Travail Obligatoire (STO), s’était évadé de France ?

20 août 1944 : Fiche d’enregistrement à Buchenwald

Inventaire d’effets personnels

Parmi les déportés présents dans le camp, Émile Bollaert retrouve son ami Julien Cain, administrateur général de la Bibliothèque Nationale.
24 août 1944, peu avant midi : Un bombardement allié détruit avec une remarquable précision l’usine d’armement qui jouxte le camp, ainsi que le campement des SS, sans toucher le secteur des déportés. A cet instant, Émile Bollaert est à côté de Richard Pouzet et tous deux sont stupéfaits de la soudaineté et de la précision de l’opération.
3 septembre 1944 : Transféré au camp de concentration de Dora-Ellrich (construction des missiles V1 et V2) au nord de Nordhausen en Thuringe, à 80 km de Weimar. Primitivement, le camp de Mittelbau-Dora avait le statut administratif de commando extérieur du camp de Buchenwald. Le 28 octobre 1944, il obtient le statut de camp de concentration indépendant. Il comprend 16 % de déportés français au recensement du 1° novembre 1944.
Les missiles V1 étaient précédemment construits dans l’usine de Peenemünde (créée en 1936 en Poméranie, sur la presqu’île d’Usedom dans la mer Baltique) dépendant du camp de concentration de Ravensbrück. Cette usine fut fortement endommagée le 17 août 1943 lorsque 596 avions britanniques lâchèrent 1924 tonnes de bombes (opération Hydra). L’aménagement de l’usine souterraine « Mittelbau » de Dora dans une ancienne carrière de gypse fut entrepris dès le 28 août 1943. Cette carrière était composée de deux tunnels parallèles, distants de 150 m, reliés entre eux par 21 tunnels transversaux. Ces derniers étaient suffisamment larges pour recevoir une double voie ferrée. La production démarra en janvier 1944.
Le directeur technique de Peenemünde, puis de Dora, est Wernher von Braun. Membre du parti nazi et lieutenant SS, il a toujours nié connaître les conditions de vie et de travail de la main-d’œuvre de Dora, mais le contraire a été prouvé par de nombreux témoignages. Hitler s’était étonné que la construction des missiles V1 et V2, prototypes de sa future force de frappe, fût confiée à des étrangers susceptibles de commettre des actes de sabotage. Ce à quoi Heinrich Himmler, chef suprême des SS, répondit : « Je ferai régner un tel climat de terreur qu’il n’y aura pas de sabotage ».

Le V1 est un missile de 2250 kg, dont 850 kg de charge utile, mû par un pulso-réacteur à acétylène à une vitesse de 670 km/h, à une altitude de 3000 m. Sa portée est de 200 km avec une précision de 12 km. Une minuterie préréglée interrompt la progression horizontale et fait littéralement tomber l’engin au sol. Sur les 35.000 missiles V1 construits à Peenemünde et Dora : 17.500 ont été détruits au sol par les bombardements alliés, 9250 ont été tirés sur des rampes de lancement, 6550 ont été tirés à partir d’avions-porteurs Heinkel. Leur vitesse, analogue à celle d’un avion de chasse, et leur trajectoire rectiligne horizontale les rendaient vulnérables : 1645 missiles V1 ont été abattus en vol par les chasseurs de la Royal Air Force.

Assemblage de V1 dans un tunnel de Mittelbau


A partir du 8 septembre 1944, les V1 ont été remplacés par les V2. Le V2 est une fusée de 12.500 kg, dont 750 kg de charge utile, consommant de l’éthanol et de l’oxygène liquide, se déplaçant à une vitesse de 5400 km/h (3,5 Mach) suivant une parabole culminant à une altitude de 88 km, avec une portée de 320 km et une précision de 7 à 17 km. Sur les 4575 missiles V2 construits (20 par jour!), 3000 ont étés tirés. On peut constater que sa charge, sa portée et sa précision ne sont guère différentes de celles du V1, mais son altitude et sa vitesse le rendent imprévisible et imparable. Ce fut donc surtout une arme psychologique. D’un point de vue militaire, son efficacité était très faible et certains historiens ont déclaré que ces missiles ont provoqué deux fois plus de morts de déportés lors de leur construction que de morts de civils britanniques lors de leur utilisation.

Les déportés sont répartis en équipes (ou kommandos) chargés de différentes tâches :
1) en dehors de l’usine souterraine, des travaux de manutention, très importants car les missiles arrivent en pièces détachées de différentes usines allemandes,
2) dans l’usine souterraine, des travaux de montage. Pour que l’usine fonctionne 24 heures sur 24, il est créé des équipes de jour et des équipes de nuit,
3) des corvées pour le fonctionnement et l’entretien du camp.

Quant aux inaptes au travail, ils sont affectés à un kommando Nuit et Brouillard: On les fait monter dans des wagons qu’on oublie une semaine sur une voie de garage. Au bout de quelques jours, ils sont tous morts de soif et de faim.
Émile Bollaert ne sera jamais affecté à des travaux de la deuxième catégorie, peut-être parce qu’il porte des lunettes.
Le 5 septembre 1944, il est admis à l’infirmerie (Revier) du camp, en raison d’une inflammation de son pied droit.

L’emploi du temps des déportés des catégories 1 et 3 est le suivant :
Réveil à 4h00. Toilette : 12 robinets pour 150 hommes. Puis, chacun achève de se vêtir. La paillasse est rapidement remuée et revêtue de la couverture. Aller au réfectoire : Les jours fastes, il y a trois morceaux de pommes de terre et quelques bribes de viande.
Le chef de table distribue à chacun un quart de boule de pain, un bâtonnet de margarine et un morceau du plat du jour (confiture, saucisson, fromage, pâté ou un douzième de boîte de corned-beef). Les plus affamés l’entament séance tenante, les plus prévoyants l’enfouissent dans leur musette. Appel sur la grand’place (une heure au minimum, trois heures et plus le dimanche). Puis, douze heures de travail avec une pause d’une demi-heure pour le casse-croûte. Enfin, retour au « block » et aussitôt couchés, aussitôt endormis. Pendant toute la journée, les coups de matraque ne cessent jamais de pleuvoir, car les SS et les kapos ne sont jamais satisfaits.
Le Frère Birin des Écoles Chrétiennes, enregistré sous son vrai nom Alfred Untereiner et portant le matricule 43652, cache soigneusement son engagement religieux. Lorrain, il est parfaitement bilingue et pour cette raison, il est affecté au secrétariat du bureau des Statistiques du Travail. Il profite de sa position pour affecter les Français aux postes les moins pénibles. L’autre secrétaire, un Russe avec lequel il est en bons termes, en fait autant pour privilégier ses compatriotes. Mais le bureau des Statistiques n’est pas le seul à distribuer des postes de faveur : Tous les kapos, et autres petits chefs, le font pour montrer ou monnayer leur pouvoir relatif. Quand le nombre des postes de faveur devient trop visible, les SS organisent des « transports » vers des kommandos extérieurs, Osnabrück par exemple, ou vers les sinistres kommandos Nuit et Brouillard. Ces transports sont organisés très rapidement, en une heure seulement, pour que les déportés désignés n’aient pas le temps de se faire attribuer une nouvelle affectation.
Beaucoup de déportés, souvent plus jeunes qu’Émile Bollaert, périssent par le travail excessif, les appels interminables, les incessants coups de matraque, les tortures, les pendaisons, le froid, la faim, le manque de sommeil, la maladie. Les corps sont envoyés au four crématoire, ou en cas de surabondance déversés dans des fosses communes.
Le plus ignoble, c’est que les SS parviennent à dresser les détenus les uns contre les autres : Le procédé le plus usité pour diviser les détenus est la désignation de « chargés de fonction » (petits responsables, secrétaires, infirmiers) jouissant de petites faveurs (nourriture, vêtements, couchage). Certains appliquent les consignes avec zèle, voire avec sadisme, comme les sinistres Kapos, souvent porteurs du triangle vert des condamnés de droit commun. D’autres appliquent les consignes au minimum, tendant d’adoucir le sort de leurs codétenus, avec tous les risques que cela comporte, mais ils sont incompris par la majorité des déportés qui les rendent responsables de toutes les consignes qu’ils sont contraints d’appliquer. Dans tous les cas, ces chargés de fonction vivent dans la hantise d’être démis de leur fonction, car leur protection, toute relative, cesse aussitôt et ils sont exposés à la vindicte de leurs adversaires les plus farouches. Les cas de délation sont très nombreux et entraînent des opérations de règlement de compte pouvant aller jusqu’à l’assassinat entre détenus. Himmler lui-même a déclaré en 1944 : « Si un kapo est destitué et doit dormir de nouveau avec les autres détenus, il sait qu’ils vont le tuer dans la première nuit. » Pour les SS, aucun problème, pas d’enquête inutile : Les saboteurs, ou présumés tels, sont pendus. Dans l’usine souterraine, ils sont pendus au-dessus de leur poste de travail et restent là un ou deux jours, en guise d’avertissement pour les déportés remplaçants.

L’idée que les prisonniers d’un camp de concentration pourraient être payés pour leur travail paraît étrange, mais c’est en partie vrai : Des bons de prime et de l’argent spécifique au camp ont une grande importance dans les chances de survie des prisonniers.
Il est utile de posséder ce qu’on appelle les « Prämienscheine » ou certificats de primes, avec lesquels on peut acheter des produits alimentaires ou des cigarettes au magasin du camp. A la base de ce système de certificats, il y a une note du chef du centre de gestion économique de l’administration SS, le général SS Oswald Pohl. Des certificats de prime doivent être remis aux prisonniers « qui se distinguent par un bon rendement, de l’ardeur et de l’intérêt pour le travail. La constatation du rendement au travail incombe aux chefs d’atelier, contremaîtres, conducteurs de travaux etc. des services auprès desquels les prisonniers sont mis à disposition, en accord avec le commandant du camp.. »
Dans le camp de concentration de Mittelbau, il a d’abord été utilisé les certificats de prime de Buchenwald, puis à partir de septembre 1944, des certificats émis dans le camp de Mittelbau. Les règles pour la distribution des primes laissent beaucoup de liberté aux chefs d’équipe dans les commandos extérieurs des camps, mais aussi aux prisonniers fonctionnels (doyens de camp, Kapos, contremaîtres etc.) Ils décident de la date de distribution, des bénéficiaires et des marchandises pouvant être acquises avec ces certificats de prime.
Il n’est pas clairement établi que la prime atteigne son but originel d’augmentation du rendement des prisonniers, puisque les performances exigées dépassent déjà les possibilités physiques des prisonniers épuisés.
Émile Bollaert a rapporté un de ces billets internes. Il a été imprimé, sur papier filigrané, par la société Theodor Müller à Nordhausen. Au verso de ce billet, figure la mention : « La garantie de ce billet est déposée auprès de l’administration centrale des cantines SS dans la zone du site Mittelbau. Toute falsification est passible de poursuites judiciaires. » En voici la photocopie :

Billet de banque interne du camp de Mittelbau, recto et verso

A 54 ans, Émile Bollaert est affectueusement surnommé « le Vieux, l’Ancien ». Ses camarades les plus proches sont le fonctionnaire des PTT Edmond Debeaumarché, le Frère Alfred Birin, le comte Paul Chandon, le commandant De Michelis et Richard Pouzet sous-préfet de Vitry-le-François.
Edmond Debeaumarché, chargé de l’entretien de l’installation téléphonique du camp, est très apprécié des SS, car il détecte et répare rapidement les pannes de téléphone (qu’il a lui-même provoquées). Il accomplit une prouesse incroyable : il installe un micro clandestin dans le bureau du commandant du camp !
Le 8 octobre 1944, Émile Bollaert est inscrit dans un kommando de 180 hommes envoyés, d’abord au camp annexe d’Heringen (au sud-est de Nordhausen), puis à Osnabrück (en Basse-Saxe). Le Frère Alfred n’en a connaissance qu’au dernier moment. Il a juste le temps de serrer la main d’Émile Bollaert et de lui adresser quelques paroles d’encouragement.
La 5° brigade SS de construction ferroviaire a été créée en mars 1944 à Cologne pour entretenir les voies ferrées bombardées et pour construire des pas de tir et des abris pour les V1 et V2. Elle a été affectée en juin 1944 à Osnabrück pour entretenir les voies ferrées à Heringen et Osnabrück. Son effectif est de 470 hommes environ. A partir du 1° octobre 1944, elle a employé des déportés de Mittelbau-Dora. Osnabrück étant un noeud ferroviaire important, la gare et ses environs ont été, depuis le 20 juin 1942, l’objet de nombreux bombardements qui deviennent incessants à partir d’octobre 1944. La ville a enregistré 2396 alertes aériennes pendant toute la guerre. Mais 10 à 20 % des bombes alliées n’explosaient pas au sol. Dans ce cas, le dégagement des bombes et l’enlèvement des détonateurs, souvent endommagés, étaient confiés, de préférence, à des déportés, avant que les démineurs de la Wehrmacht ne fassent exploser les bombes.
Au bout de quelques semaines, Émile Bollaert est déclaré inapte au travail et renvoyé à Dora avec 50 autres déportés. Nous avons dit plus haut qu’être déclaré inapte au travail signifiait être bon pour le four crématoire. Il faut croire qu’un ami inconnu lui a trouvé rapidement une affectation salvatrice, car les registres de l’infirmerie indiquent qu’il y séjourne du 2 décembre au 29 janvier. Ce ne pouvait être le Frère Alfred, car entre-temps le malheureux avait été arrêté et envoyé à la prison (bunker) du camp. On imagine le régime épouvantable que devaient endurer les hôtes du bunker.
A sa sortie de l’infirmerie, il est affecté à un poste de faveur. Le bureau des Statistiques indique « veilleur de nuit », mais il est difficile d’imaginer ce que pouvait être cette fonction dans un pareil environnement. Ce poste est moins fatigant et donne droit à une alimentation plus abondante.

Devançant l’arrivée le 27 janvier 1945 des troupes soviétiques à Auschwitz (Silésie), les Allemands évacuent courant janvier les 3000 derniers déportés de ce camp vers le camp de Dora. Ces déportés effectuent un voyage épouvantable, à pied sur une centaine de kilomètres, puis en wagons découverts (en plein hiver) sans aucune nourriture. 1400 arrivent en février à Dora dans un état si effrayant que la plupart décèdent dans les jours suivants.
Parmi ces arrivants, figure une jeune fille de 17 ans Simone Jacob, devenue plus tard célèbre sous le nom de Simone Veil. Elle est affectée à la cuisine du camp.
25 mars, dimanche des Rameaux : les bombardements alliés s’intensifient (la ville d’Osnabrück est pratiquement rasée) et ceci remplit d’espérance le cœur des déportés.
1er avril 1945, dimanche de Pâques : Pressentant l’arrivée proche des troupes alliées, les Allemands détruisent tous les plans des missiles ainsi que les appareils de précision de l’usine.
3 avril 1945 : Un premier transfert de détenus est décidé, concernant surtout les détenus de la 2° catégorie, supposés détenteurs de secrets de fabrication. Après un voyage de onze jours en train comportant de nombreux retours en arrière, dans des conditions très éprouvantes (c’est un euphémisme), les déportés arrivent le 14 avril à Ravensbrück en Brandebourg, à 80 km de Berlin, dans le camp de déportation réservé en majorité aux femmes. Richard Pouzet fait partie de ce convoi, mais non Émile Bollaert.
5 avril 1945 : Faisant partie du deuxième transfert d’évacuation, Émile Bollaert est transféré au camp de déportation de Bergen-Belsen en Basse-Saxe. Le voyage en train dure six jours, alors que les vivres distribués au départ n’étaient prévus que pour trois jours. Et l’eau a vite manqué.
Sur ordre écrit d’Himmler, il avait été préparé du pain empoisonné pour tous les déportés arrivant à ce camp. Heureusement, ce pain n’a pas été distribué, le médecin du camp, responsable de cette opération, ayant calculé que ce geste lui vaudrait l’indulgence des Alliés s’il était fait prisonnier.
15 avril 1945 : Délivré par la 11° division blindée de la 2° armée britannique qui a pris possession du camp sans rencontrer la moindre résistance des SS, car ceux-ci, terrorisés par le typhus, avaient conclu un accord avec les Britanniques deux jours auparavant.
Les Britanniques découvrent 51.000 déportés encore vivants mais à bout de forces, la plupart plus ou moins malades (une épidémie de typhus fait 500 morts par jour), et 7.000 cadavres épars dans le camp. Les Britanniques ne savent pas comment réagir et ils donnent aux déportés une nourriture trop abondante qui provoque de nouveaux décès !
Pour assurer la gestion de cet enfer, les officiers britanniques demandent aux déportés de chaque nationalité d’élire un représentant, puis ils demandent à l’ensemble des représentants nationaux de désigner un représentant unique : Sur proposition du délégué russe, Émile Bollaert est désigné.
Simone Veil a écrit, dans son livre « Une vie » publié en 2012 : « Le général anglais s’est trouvé tellement désemparé qu’assez vite, il a demandé à repartir se battre, plutôt que de s’occuper d’un camp où il ne disposait d’aucun moyen. » Il est surprenant qu’Émile Bollaert qui, comme délégué de tous les déportés libérés, devait être au courant de cette démarche, ne l’ait jamais mentionnée.
Il participe donc à l’organisation de l’évacuation du camp. Il est aidé dans cette tâche par Antoine Mauduit qui lui sert d’interprète auprès des officiers britanniques.
Émile Bollaert avait rencontré le résistant Antoine Mauduit à l’infirmerie de Dora début septembre 1944, puis à Osnabrück en octobre. Antoine Mauduit ne reverra pas la France, car il meurt le 9 mai 1945 à l’hôpital de Sulingen et est enterré dans le cimetière de cette ville. Le 9 octobre 1949, son corps est transféré à Montmaur, Hautes-Alpes, et Émile Bollaert assiste à ce transfert.
Émile Bollaert, assumant scrupuleusement cette nouvelle responsabilité, part parmi les derniers, le 29 avril 1945.
Seuls 18 % des déportés du convoi du 15 août 1944 survécurent.
Le 2 mai 1945, à Reutte, dans le Tyrol, Wernher von Braun se rend aux troupes américaines qui l’accueillent à bras ouverts pour diriger leurs expéditions sur la lune. On peut supposer que von Braun préfère se rendre aux Américains plutôt que d’être capturé par les Soviétiques qui le recherchent activement. Von Braun donne aux Américains une liste de plusieurs centaines de techniciens avec qui il souhaite travailler.

Références :
 - le livre "16 mois de bagne : Buchenwlad - Dora"  du Frère Alfred Birin, préfacé par Émile Bollaert, Éditions Dautelle, Epernay, 1947
 - le livre "Cellule 114" de Charles Spitz, Éditions Le soutien par le livre, 1988
 - le livre "Konzentrationslager auf Schienen" de Karl Kassenbrock, Editions Wallstein Verlag, Göttingen, 2019 ( Camp_de concentration_sur_rails.pdf )


(mis à jour en novembre 2021)
-> Chapitre 7 : Retour en France, reprise du travail