Émile Bollaert est nommé Haut-Commissaire de France (gouverneur général) en Indochine le 5 mars 1947.
Pour comprendre son action, il est nécessaire de rappeler les évènements qui se sont produits en Indochine de septembre 1939 à mars 1947.
En 1939, l’Indochine, ou Union Indochinoise, était une fédération de cinq états :
- le royaume du Cambodge, protectorat français. Norodom Sihanouk en deviendra roi en avril 1941,
- le royaume du Laos, protectorat français,
- l’état du Tonkin, protectorat français,
- l’empire d’Annam, sous l’empereur Bao Daï depuis 1926, protectorat français,
- la Cochinchine, colonie française.
Les populations du Tonkin, d’Annam et de Cochinchine, (ces trois états sont souvent appelés les trois Ky) sont en quasi-totalité annamites, la plus grande exception étant située sur les plateaux du sud de l’Annam.
En septembre 1939, l’armée française en Indochine compte :
- 32.000 soldats,
- 17.000 membres des forces auxiliaires,
- 17 avions Morane sous-équipés,
- une marine fluviale, avec des canonnières et un pétrolier,
- la Division navale d’Extrême-Orient, avec un sous-marin, 2 croiseurs (dont le Lamotte-Picquet) et 5 avisos.
En 1940 :
Le général d’armée Georges Catroux, gouverneur général de l’Indochine, est remplacé le 25 juin 1940 par le vice-amiral d’escadre Jean Decoux. La passation de pouvoirs a lieu le 20 juillet 1940.
Le Japon, en guerre avec la Chine depuis juillet 1937, déclare réduire les effectifs de ses troupes d’occupation en Chine méridionale. Il demande à la France l’autorisation de traverser le Tonkin pour que les garnisons japonaises autour de Canton puissent embarquer à Haïphong. A cet effet, le général Nishihara signe, le 22 septembre 1940, un accord avec le général de corps d’armée Maurice Martin, commandant supérieur des troupes en Indochine. Cet accord est confirmé le 30 octobre 1940 à Tokyo.
Le 25 septembre 1940, 25.000 soldats japonais attaquent les garnisons de Langson et de Doson, et soumettent les troupes françaises en Indochine comptant 12.000 hommes. Le loyalisme des troupes indigènes se révèle très fragile.
Dès septembre 1940, profitant des difficultés françaises, la Thaïlande revendique des territoires laotiens sur la rive droite du Mékong, avec la complicité du Japon qui lui fournit des armes. La riposte française de janvier 1941 échoue, mais la Marine sauve la face en coulant à Kohchang plusieurs bâtiments thaïlandais. Un traité de paix est signé le 9 mai 1941.
Le 22 novembre 1940, le comité PCI de Cochinchine donne un signal de soulèvement. 11 provinces sur 21 s’embrasent quelques semaines. Puis, les forces françaises (terre, air, mer) écrasent les communistes.
Le 29 juillet 1941 à Vichy, l’amiral François Darlan, vice-président du Conseil des Ministres, signe avec M. Sotomatsu Kato, ambassadeur du Japon en France, un accord dont voici le texte :
Protocole entre la France et l’Empire du Japon concernant la défense de l’Indochine française :
Le gouvernement français et le gouvernement impérial du Japon, prenant en considération la situation internationale actuelle, reconnaissant qu’en conséquence, dans le cas où la sécurité de l’Indochine française serait menacée, le Japon serait fondé à estimer que la tranquillité générale en Asie orientale et sa propre sécurité se trouveraient en danger, renouvelant à cette occasion l’engagement pris d’une part par le Japon de respecter les droits et intérêts de la France en Extrême-Orient, et notamment l’intégrité territoriale de l’Indochine française et les droits souverains de la France sur toutes les parties de l’Union indochinoise, et d’autre part par la France de ne contracter au sujet de l’Indochine aucun accord ou entente avec une tierce puissance prévoyant une coopération politique, économique ou militaire, de nature à l’opposer directement ou indirectement au Japon, sont convenus des dispositions suivantes :
I. Les deux gouvernements s’engagent à coopérer militairement pour la défense en commun de l’Indochine française.
II. Les dispositions ci-dessus ne resteront en vigueur qu’autant que les circonstances, ayant motivé leur adoption, subsisteront. En foi de quoi, les soussignés, dûment autorisés par leurs gouvernements respectifs, ont signé le présent protocole qui entre en vigueur ce jour même et y ont apposé leur cachet
Fait en double exemplaire en langue française et japonaise à Vichy le 29 juillet 1941 correspondant au 29ème jour du septième mois de la seizième année de Syowa.
signé : Darlan et Sotomatsu Kato
ANNEXE
– Primo –
Le Gouvernement français accorde au Japon la faculté de prendre les mesures suivantes :
a) envoi en Indochine méridionale du nombre de troupes, d’unités navales et de formations aériennes japonaises jugé nécessaire.
b) utilisation comme base aérienne des 8 localités suivantes : Siemreap, Pnom Penh, Tourane, Nhatrang, Bien Hoa, Saigon, Soctrang, et Kompong Trach, comme bases navales de Saigon et de la baie de Camranh. Les aménagements nécessaires y seront apportés par les forces japonaises.
c) Il sera accordé à ces forces la faculté de se loger, de faire des manœuvres et exercices, leur liberté de mouvement sera reconnue. Il leur sera également accordé des facilités particulières pour l’accomplissement de leur tâche. Ceci comprend la suppression des restrictions prévues par l’accord Nishihara/ Martin.
– Secundo –
Le Gouvernement français fournira les devises nécessaires à ces forces japonaises selon les modalités à établir en commun. Pour l’année en cours, le montant de ces devises s’élèvera à 23 millions de piastres indochinoises, soit environ 4 millions 500 mille piastres indochinoises par mois; Cette somme ne comprend pas les devises à fournir aux forces japonaises du Tonkin, prévues par l’accord antérieur. Le Gouvernement japonais est disposé à payer les devises susvisées au choix du Gouvernement français, soit en yens transférables, soit en dollars américains, soit en or.
Le Gouvernement français donnera son accord au dispositif général d’entrée de ces forces et prendra toutes les mesures utiles pour éviter la possibilité d’un conflit fortuit avec les forces indochinoises.
– Tertio –
Les dispositions de détail concernant les forces japonaises seront établies d’accord entre les autorités militaires japonaises et françaises sur place.
signé Darlan et Sotomatsu Kato
Les négociations pour l’application de cet accord sont ainsi laissées à l’initiative du vice-amiral Jean Decoux. Ce dernier fait traîner les choses jusqu’en décembre 1941. Après l’attaque de Pearl Harbour le 7 décembre 1941, la France Libre déclare la guerre au Japon et ceci rend peut-être les négociations plus difficiles.
Début 1944, le général De Gaulle nomme officieusement représentant du CFLN le général de corps d’armée Eugène Mordant, commandant les troupes d’Indochine. Le général Mordant double l’amiral Decoux qui reste gouverneur général en titre. Le 3 juin 1944, le général Mordant devient le représentant officieux du GRPF.
A partir de décembre 1944 :
En décembre 1944, les Américains chassent les Japonais des Philippines.
Le 12 janvier 1945, des avions américains détruisent une quarantaine de navires japonais dans la rivière de Saïgon et au large du Cap Saint-Jacques. Les Japonais envisagent l’éventualité d’un débarquement américain en Indochine et, de janvier à début mars 1945, les troupes japonaises en Indochine passent de 8.000 à 60.000 hommes. La présence de l’armée japonaise se transforme en véritable occupation par le coup de force du 9 mars 1945 au cours duquel est fait prisonnier l’amiral Decoux qui reste interné 45 jours.
Sur les 38.000 hommes que compte l’armée française en Indochine, 5.000 hommes stationnés au Tonkin sous les ordres des généraux de division Gabriel Sabattier et Marcel Alessandri s’opposent, pendant quelques semaines, à cette occupation avant de se replier en Chine, en abandonnant le matériel lourd, préalablement rendu inutilisable.
Du 10 au 13 mars, Bidault, ministre des Affaires Étrangères, puis De Gaulle demandent aux États-Unis d’aider immédiatement ces troupes : Du 19 mars au 21 avril, cette aide est modérée et quelque peu chaotique.
La majorité de l’armée française est internée, de manière très cruelle, par les Japonais. Ceux-ci font appel à l’informatique dans leur recherche méthodique des lambeaux de l’armée française.
Le 11 mars 1945, sous la pression japonaise, l’empereur Bao Daï proclame publiquement l’abolition du protectorat français et déclare que le pays reprend ses droits à l’indépendance. Le gouvernement Trang Trong King, formé par Bao Daï le 17 avril, n’arrive pas à contrôler une situation de plus en plus confuse.
Le 24 mars 1945, De Gaulle fait une déclaration évoquant la liberté de l’Indochine, mais en termes très vagues, et surtout en repoussant l’idée de l’unification des 3 Ky. Il évoque son projet de création d’un Commonwealth à la française, l’Union Française, qui ne sera officiellement constituée que le 27 octobre 1946.
En juin 1945, des agents américains basés en Chine du Sud, dont le commandant Archimedes Patti, décident de faire participer le Vietminh à leurs opérations contre les Japonais et lui fournissent des armes. A cette fin, le commandant Patti rencontre Ho Chi Minh fin avril 1945 et le 26 août 1945. Mais Washington refuse de s’engager davantage et les rapports que Patti envoie ensuite à Washington ne sont même pas ouverts.
De même, le commandant Allison Thomas, de l’OSS, crée le 16 juillet 1945 la « Deer Team » et dote le Vietminh d’armes neuves, ce qui augmente le prestige de ce dernier.
En août 1945, le général américain Albert Wedemeyer, chef d’état-major de Tchang Kaï Chek, signifie à Jean Daridan, chargé d’affaires français à Tchoung-King, son refus de laisser les 5.000 officiers et soldats réfugiés en Chine retourner au Tonkin.
L’administration française est dessaisie de tout pouvoir, mais l’inefficacité de l’administration japonaise provoque au Tonkin en automne 1945 une grande famine (un million de morts) que les différents partis annamites nationalistes utilisent paradoxalement dans leur propagande anti-française, cette propagande étant encouragée par les Japonais.
Ho Chi Minh, installé depuis juin 1945 à Tran Trao, à 80 km au nord d’Hanoï, réussit à rassembler sous son autorité ces différents partis nationalistes et à diriger un million d’habitants autour de la province de Thai Nguyen.
Le 2 août 1945, lors de la conférence de Postdam à laquelle De Gaulle n’est pas convié, les Alliés décident que les Britanniques et les Chinois seront chargés de désarmer les Japonais (les Britanniques au sud du 16° parallèle et les Chinois au nord). Le 16° parallèle passe à 50 kilomètres au sud de Hué, la capitale de l’empire d’Annam.
Le 14 août 1945, Bao Daï annonce l’annexion de la Cochinchine à son royaume.
Le 19 août 1945, proclamation du gouvernement révolutionnaire, qui ne sera pas reconnu par les États-Unis.
Le 28 août 1945, les Chinois entrent au Tonkin en force, soit 130.000 hommes commandés par le général Lou Han, totalement corrompu, dont Tchang Kai Chek se débarrasse en l’envoyant au Tonkin. Ils désarment les soldats français comme les soldats japonais, font main basse sur tout le commerce local et n’assurent pas la sécurité des civils français. Tout en faisant mine de déclarer le Vietnam indépendant, ils s’emparent de la totalité de l’administration. Cette mainmise devient si importante que Leclerc doit envoyer, le 28 février 1946, le colonel Jean Crépin à Tchoung-King (capitale du Yunnan, une province au sud-ouest de la Chine où le gouvernement de Tchang Kaï Chek s’était replié) pour négocier un traité par lequel la Chine reconnaît la souveraineté de la France en Indochine. Cet accord n’est appliqué qu’après la signature d’un deuxième accord le 6 mars 1946 à Hanoï. D’après ces accords, la Chine s’engage à retirer ses troupes le 31 mars 1946, mais elle ne le fait que le 18 septembre 1946.
A partir du 6 septembre 1945, les Britanniques arrivent à Tan Son Nhut, l’aéroport de Saïgon. Ce sont principalement des unités indiennes, placées sous les ordres du major général Douglas Gracey. Celui-ci contribuera fortement au rétablissement de la présence française en Indochine. Il quittera l’Indochine le 28 janvier 1946 après avoir désarmé 54.000 Japonais.
Les Japonais quittent l’Indochine en mai-juin 1946.
Le 25 juillet 1945, le Vietminh envoie aux autorités françaises un télégramme proposant des mesures transitoires précédant une indépendance envisagée dans un délai de 5 à 10 ans. On lui répond que le gouvernement français accepte de négocier. Mais Ho Chi Minh part pour Hanoï et aucune suite est donnée à cette correspondance jusqu’au 28 septembre.
Le 13 août 1945, le parti communiste Vietminh constitue un Comité de Libération du peuple vietnamien. S’ensuit du 17 août au 3 octobre une période de troubles : Tant à Hanoï qu’à Saïgon, les vietnamiens et les colons commettent de nombreuses et graves exactions, aucune des armées présentes ne voulant assurer le maintien de l’ordre.
Le 25 août 1945, Bao Daï est contraint d’abdiquer en faveur du Vietminh qui lui demande de s’installer à Hanoï et, le 10 novembre, le nomme conseiller suprême. En avril 1946, Bao Daï juge plus prudent de résider à Hong-Kong.
Le 29 août 1945, un gouvernement provisoire est formé sous la présidence d’Ho Chi Minh, et le 2 septembre, à Hanoï, celui-ci proclame la République Démocratique du Viet-lam (RDVN).
De leur côté, les populations cambodgienne et laotienne, ainsi que leurs dirigeants respectifs, le roi Norodom Sihanouk et le prince Sisavang Vong, acceptent de revenir au statu quo ante.
Pour les trois Ky, voici l’évolution des évènements jusqu’en mars 1947 :
D’août 1945 à février 1946 :
Le Vietminh se rend progressivement maître des montagnes et des campagnes du nord et du centre du Vietnam.
Le général de corps d’armée Philippe de Hauteclocque, dit le général Leclerc, nommé Commandant en Chef le 15 août 1945, arrive avec un corps expéditionnaire le 5 octobre 1945, et se rend maître de la situation, au moins dans le sud et le centre du Vietnam. Le vice-amiral Georges Thierry d’Argenlieu, nommé Haut-Commissaire de France en Indochine le 15 août 1945, arrive à Saïgon le 30 octobre. Les deux hommes ont été nommés le même jour par De Gaulle qui a voulu expressément que le Commandant en Chef soit sous les ordres du Haut-Commissaire. Les deux hommes ne s’entendent pas et le fait que Leclerc ait quatre étoiles et d’Argenlieu seulement trois n’arrange pas les choses. Ce point protocolaire sera résolu quand Thierry d’Argenlieu sera nommé vice-amiral d’escadre en mars 1946. Le général de brigade Raoul Salan, délégué militaire du haut-commissaire, s’installe à Hanoï le 1° septembre.
Pour se soustraire à la pression chinoise qu’il juge très dangereuse, Ho Chi Minh entame le 28 septembre 1945 des négociations secrètes avec la France : Il rencontre Léon Pignon, directeur de la section Indochine du ministère des Colonies, et le général de brigade Marcel Alessandri.
Le 18 février 1946, Leclerc envoie au Gouvernement Provisoire de la République Française présidé par Félix Gouin un télégramme proposant un accord avec le Vietminh. Le gouvernement donne son accord de principe que le Haut-Commissaire Thierry d’Argenlieu est chargé de transmettre à Jean Sainteny, Commissaire de la République au Tonkin, qui le fera connaître à Ho Chi Minh.
Le 6 mars 1946, en présence de MM. Nguyen Tuong Tam, Hoang Minh Giam, Léon Pignon, Louis Caput (représentant local de la SFIO), du général Salan, des observateurs des Alliés (britannique, américain, chinois), une « Convention Préliminaire » est signée entre la République Française représentée par M. Jean Sainteny et la République du Viêt-Nam représentée par MM.Ho Chi Minh et Vu Hong Khahn. En voici le texte :
Le gouvernement de la République française représenté par M. Sainteny, délégué du Haut-Commissaire de France, régulièrement mandaté par le vice-amiral d’escadre Thierry d’Argenlieu, Haut-Commissaire de France, dépositaire des pouvoirs de la République française, d’une part, et le gouvernement du Viet-Nam, représenté par son président, M. Ho Chi Minh, et le délégué spécial du Conseil des Ministres M. Vu Hong Khahn, d’autre part, sont convenus de ce qui suit :
1) Le gouvernement français reconnaît la République du Viet-Nam comme un État libre, ayant son gouvernement, son Parlement, son armée et ses finances, faisant partie de la Fédération Indochinoise et de l’Union française, et s’engage à entériner les décisions prises par les populations consultées par référendum.
2) Le gouvernement du Viet-Nam se déclare prêt à accueillir amicalement l’armée française lorsque, conformément aux accords internationaux, elle relèvera les troupes chinoises. Un accord annexe, joint à la présente convention préliminaire, fixera les modalités selon lesquelles s’effectueront les opérations de la relève.
3) Les stipulations ci-dessus formulées entreront immédiatement en vigueur aussitôt après l’échange des signatures.
Chacune des parties contractantes prendra toutes les mesures nécessaires pour faire cesser sur-le-champ les hostilités, maintenir ses troupes sur leurs positions respectives et créer un climat favorable à l’ouverture immédiate de relations amicales avec la France. Ces négociations porteront notamment sur les relations diplomatiques du Viet-Nam avec les Etats étrangers, le statut futur de l’Indochine, les intérêts économiques et culturels. Hanoï, Saïgon ou Paris pourront être prévus comme siège de la conférence. »
Cette convention a été complétée par une annexe, d’ordre militaire, signée le même jour, 6 mars 1946, par les trois mêmes personnes.
On peut s’étonner que, lors du débat parlementaire de mars 1947, Paul Ramadier, déclarant le document du 6 mars 1946 « caduc », ait employé le terme emphatique de « traité ».
Mais l’amiral d’Argenlieu n’accepte pas les documents signés le 6 mars 1946, notamment l’accord annexe qu’il considère comme un « Munich indochinois ». De son côté, le général Leclerc déclare : « Nous serons embourbés dans cette guerre » et préconise la poursuite des négociations. Ce qui provoque une violente dispute entre les deux hommes.
Le 18 mars 1946, près deux semaines de négociations avec les autorités vietnamiennes et chinoises, Leclerc et son armée entrent à Hanoï. Il rencontre aussitôt Ho Chi Minh. On peut alors espérer que le conflit vietnamien soit en voie de règlement.
Le 24 mars 1946, Thierry d’Argenlieu reçoit Ho Chi Minh en baie d’Along et élude toute suite immédiate à la convention du 6 mars. Bien que présent sur le croiseur Émile-Bertin, le général Leclerc n’est pas invité à participer à ces entretiens. Offensé par l’attitude de l’amiral, le général Leclerc lui écrit le 1° avril pour affirmer sa volonté de jouer franc-jeu avec les Annamites.
A la demande de l’amiral d’Argenlieu, un deuxième accord annexe est signé le 3 avril par le général Salan, le général Vol Nguyen Giap et M. Vu Hong Khahn pour préciser « provisoirement » les conditions d’application de la convention du 6 mars. Naturellement, ce deuxième accord est moins favorable au Vietminh que le précédent.
A deux reprises, le 25 avril et le 8 juin, le général Leclerc avait écrit au gouvernement, avec copie au général de Gaulle, pour demander sa relève. En réponse à sa première lettre, De Gaulle avait conseillé le 3 juin : « Tenez quelque temps encore… ».
Le 27 mars 1946, Leclerc envoie un rapport détaillé au gouvernement dont voici deux extraits :
– Je me suis aperçu soudain combien le Gouvernement avait été imparfaitement et faussement informé.
– J’avais, le 14 février, télégraphié à Paris qu’il fallait aller jusqu’au mot même d’ « indépendance » pour éviter d’aller à un échec trop grave.
Leclerc ne désigne personne, mais la première personne chargée officiellement d’informer le gouvernement est le Haut-Commissaire Thierry d’Argenlieu.
Avril-septembre 1946 :
L’amiral Thierry d’Argenlieu réunit une conférence à Dalat ,du 17 avril au 11 mai, mais les positions des deux délégations semblent inconciliables : La délégation vietnamienne veut instaurer une indépendance de fait sur les points culturel, politique, économique et militaire, en prélude de l’indépendance totale. La délégation française cherche à annuler la convention préliminaire du 6 mars 1946. L’échec est inévitable.
Aussitôt, Ho Chi Minh demande, avec insistance, à négocier directement avec le gouvernement français. Le gouvernement ayant donné son accord, une délégation vietnamienne, dirigée par Pham Van Dong, un proche d’Ho Chi Minh, vient à Paris du 26 avril au 16 mai pour préparer la rencontre franco-vietnamienne. Au Bourget, avant de monter dans l’avion du retour, la délégation entonne spontanément une vibrante Marseillaise.
Ho Chi Minh quitte l’Indochine le 31 mai et arrive le 12 mai à Biarritz où il attend que le nouveau gouvernement Bidault se mette en place. Il arrive le 12 juin à Paris où il est reçu en grande pompe comme un chef d’État et acclamé par la foule parisienne. La conférence s’ouvre à Fontainebleau le 6 juillet, mais se termine le 12 septembre par un constat d’échec, l’amiral d’Argenlieu ayant tout fait pour la torpiller :
– en suscitant le 1° juin 1946 la création d’une République Autonome de Cochinchine sous la présidence du docteur Nguyen Van Thinh,
– en réunissant, du 1° au 15 août, la 2° conférence de Dalat, intitulée « Conférence préparatoire sur le statut de la Fédération indochinoise dans l’Union française » , à laquelle le gouvernement du Viet-Nam n’est pas convié.
Le 12 juillet 1946, le général Leclerc est nommé Inspecteur des forces terrestres en Afrique du nord. Il reçoit sa cinquième étoile le 14 juillet, et quitte l’Indochine le 19 juillet. Il est remplacé, comme Commandant supérieur des troupes d’Indochine, par le général Jean-Etienne Valluy (nommé général de division le 25 mars 1946), par décision du Gouvernement Provisoire de la République Française présidé par Georges Bidault (MRP), le ministre des Armées étant Edmond Michelet (MRP).
Le 19 septembre 1946, Ho Chi Minh choisit de rentrer par bateau et fait le voyage de Toulon à Haïphong à bord de l’aviso Dumont-d’Urville du 19 septembre au 21 octobre. Le 17 septembre, sur sa demande (pour ne pas arriver au Tonkin les mains vides), Ho Chi Minh signe avec Marius Moutet un modus vivendi. Ce document est transmis le 18 septembre au Conseil des Ministres qui l’approuve, mais son texte n’est pas publié par le gouvernement. Le ministère des Affaires Etrangères communique ce document à M. Jefferson Caffery, ambassadeur des Etats-Unis en France, qui en fait l’analyse suivante, dans son rapport du 17 septembre au Secrétariat d’Etat :
1) Droits démocratiques réciproques pour les étrangers,
2) Reconnaissance des droits de propriété réciproques. Restitution des biens français
réquisitionnés ou saisis au Viet-Nam.
3) Libre activité des écoles françaises au Viet-Nam. Restitution de l’Institut Pasteur.
4) Priorité donnée par le Viet-Nam à la France dans la recherche de conseillers, techniciens et experts.
5) Piastre, monnaie unique de l’Indochine, liée au franc français, la Banque d’Indochine restant temporairement la banque d’émission.
6) Union douanière et libre échange au sein de la Fédération indochinoise.
7) Coordination des transports et des communications de tous types au sein de la Fédération indochinoise et de l’Union française.
8) En attendant un accord sur les relations diplomatiques vietnamiennes, une Commission mixte organisera la représentation consulaire avec les Etats voisins.
9) Concernant la Cochinchine :
a) Cesser tous les combats,
b) La Commission mixte désignera le personnel nécessaire pour contrôler ce cessez-le-feu,
c) Libérer les prisonniers politiques et militaires, à l’exception des personnes accusées de crimes de droit commun,
d) Libertés démocratiques garanties, de chaque côté,
e) Mettre fin, de chaque côté, à la propagande inamicale,
f) Collaboration pour le contrôle des citoyens ex-ennemis,
g) Représentant accrédité du Viet-Nam auprès du Haut-Commissaire pour le contrôle de l’exécution des dispositions précitées.
Signé : Ho Chi Minh, Marius Moutet
Cet accord ne sera pas appliqué en Cochinchine, mais sera appliqué avec de grandes difficultés au Tonkin jusqu’au 20 novembre.
Au cours de son voyage de retour, Ho Chi Minh rencontre le 19 octobre l’amiral Thierry d’Argenlieu en baie de Cam-ranh et ils étudient les mesures propres à amener l’apaisement.
Novembre 1946 : Ensuite, les relations franco-vietnamiennes sont fortement mises à mal par le bombardement injustifié de Haïphong : Le 20 novembre lors du contrôle douanier d’une jonque de contrebandiers, des coups de feu sont échangés entre les troupes françaises et l’armée régulière vietnamienne. Pendant 48 heures, la ville est en ébullition, mais un accord est rapidement conclu entre le ministre de l’Intérieur vietnamien Nam et le directeur des affaires politiques du Commissariat de la République Lami. L’incident est donc clos. Néanmoins, le 23 novembre 1946, le général Valluy (assurant l’intérim du Haut-Commissaire Thierry d’Argenlieu en déplacement à Paris) passe outre à l’avis défavorable du général de division Louis Morlière (Commissaire de la République par intérim au Tonkin) et, court-circuitant ce dernier, fait donner l’artillerie de l’Armée de Terre, puis quelques heures plus tard l’artillerie navale. Ce bombardement aurait fait 6.000 morts.
La ville de Hanoï est en effervescence : chacun se prépare à un affrontement que l’on sent imminent.
En Cochinchine, la situation s’est également détériorée : un grand nombre de notables annamites jugés « collaborateurs » sont massacrés par les nationalistes. Le président Nguyen Van Tinh se suicide le 10 novembre. Nguyen Van Xuân, polytechnicien et général de brigade dans l’armée française, lui succède jusqu’au 7 décembre où il est remplacé par le caodaïste Lê Van Hoach.
Le caodaïsme est à la fois une religion syncrétique et un mouvement politique, parfois même une principauté autonome avec sa propre armée. Il en est de même pour la secte des Hoa-Hao qui se fait remarquer par sa cruauté. Ces deux sectes, opposées au PCI puis au Vietminh, sont, à plusieurs reprises, les alliées temporaires des armées françaises.
Novembre-décembre 1946 :
Le 28 novembre, le gouvernement Bidault, qui soutenait sans réserve le général Valluy démissionne et, le 12 décembre, Léon Blum est nommé Président du Conseil.
Deux jours plus tôt, dans un article du journal Le Populaire, Léon Blum avait prôné un accord sincère avec le Vietnam, sur la base de l’indépendance. Il est chargé de constituer un gouvernement socialiste homogène, donc sans MRP, ni communistes.
Le 15 décembre, Ho Chi Minh envoie à Léon Blum un long télégramme de félicitations où il affirme « son désire sincère de coopération fraternelle avec le peuple de France. »
Mais ce gouvernement de transition prend fin le 16 janvier 1947. Les espoirs que ce changement politique avait fait naître sont vite effacés par l’annonce du retour de l’amiral d’Argenlieu au Vietnam.
Le 19 décembre 1946, l’insurrection d’Hanoï marque la dénonciation de facto de l’accord du 6 mars 1946 et le début de la généralisation de la guerre. Après un appel solennel à la résistance, Ho Chi Minh et le gouvernement vietminh quittent Hanoï pour se réfugier dans la jungle de la moyenne réglon tonkinoise.
Le 20 décembre 1946, le général Juin ordonne au général Valluy « d’arriver à une suspension d’armes sans compromettre la situation des troupes et des ressortissants français. »
Le 25 décembre 1946, Léon Blum envoie Marius Moutet, toujours ministre de la France d’Outre-Mer, et le général Leclerc rechercher les moyens d’appliquer les accords déjà signés. Marius Moutet constate l’impasse politique, tandis que le général Leclerc conclut : « Les opérations militaires ne constituent pas une fin en elles-mêmes. Le problème militaire ne peut-être isolé ou conçu séparément du plan politique … L’anticommunisme sera un levier sans appui aussi longtemps que le problème national n’aura pas été résolu ».
Le 26 janvier 1947, Ho Chi Minh déclare à la radio que le peuple du Vietnam désire la paix, une collaboration amicale avec la France, son indépendance et son unité territoriale au sein de l’Union Française.
Début 1947 :
Le 23 janvier, Paul Ramadier est nommé Président du Conseil.
L’opinion publique et la classe politique prennent enfin conscience de la nécessité de trouver une solution politique et tous les partis, du PCF au MRP, pensent au général Leclerc pour mener à bien cette tâche. Celui-ci, pressenti, décline le 13 février l’offre de Paul Ramadier, après une entrevue orageuse le 8 février avec le général De Gaulle plein de rancoeur envers cette 4° République qui s’était constituée sans lui, voire contre lui.
Cette amertume de De Gaulle était déjà perceptible en mars 1946, comme le montre une lettre adressée à Émile Bollaert le 5 mars 1946, lettre qui est reproduite plus loin dans le chapitre 12.
Le général d’armée Alphonse Juin se récuse également.
(mis à jour en novembre 2023)
-> Chapitre 9 : Tentatives de paix au Vietnam